Presbytères et monastères. Tout petit déjà, Gilles aimait la pierre, l’histoire, l’art. Son Graal ? La quête du beau ! Né à Dunkerque dans une famille peu portée sur l’art sous toutes ses formes, Gilles rêvait arts dramatiques, cultures plurielles et grandes métropoles, tout ce qui pouvait l’éloigner alors de cette côte peu amène au regard de son univers fantasmé, dans une ville ravagée par la Guerre, Opération Dynamo et débarquement rimant avec bombardements et saccages.
A 18 ans le voilà lillois, étudiant le métier exigeant et complexe d’infirmier, parfois désarmé face à la souffrance, tout en s’offrant les loisirs du théâtre et des voyages, arpentant les planches et le monde quand il ne joue pas sur la scène de la vie la pièce parfois douloureuse où la maladie côtoie la mort, un cas d’école pour l’apprentissage et l’acquisition de la ténacité et de la combattivité. Gilles le tactile s’intéresse aux thérapies connexes, le rapport à notre corps, aux énergies et au développement personnel. De son mémoire de fin d’études sur le toucher à sa spécialisation en réflexologie, il veut faire et se faire du bien tout en cultivant le sens de l’esthétisme.
Gille Bouilliez et son compagnon Laurent
La photographie le passionne, la mode lui fait les yeux doux. Soignant le jour, tiré à quatre aiguilles le soir, il intègre le monde de la Haute Couture, participe aux défilés de Lanvin et s’entoure de mannequins et artistes, accédant aux coulisses par-delà les portes a priori très fermées du chic, de l’élégance et des paillettes. Mais comment faire de sa vie une œuvre d’Art, se demande-t-il alors ? Le voilà tout naturellement à la croisée des chemins artistiques, empruntant ceux de la peinture, de la sculpture, de la musique…
L’aventure commence avec le peintre Chris quand ce dernier lui demande de le représenter, cette expérience nouvelle et couronnée de succès s’avère grisante quand il voit les tableaux trouver acquéreurs rapidement. Lui qui aime tant embellir la vie des autres et leur procurer du bien-être laisse pour une fois le soin de côté et le voilà “passeur du beau”. Trois années d’expositions confirment le goût de Gilles en tant que transmetteur d’artistes à Nice puis à Nancy. L’opportunité de s’ancrer dans ce nouveau métier s’offre à Laurent, son compagnon, et à lui sous forme d’un lieu incroyable chargé d’Histoire et de patrimoine local et industriel. La Teinturerie de Roubaix, sous ses traits de briques rougeoyantes, fut autrefois le fief des grands noms de teinturiers locaux (Rossel notamment), une friche en plein renouveau, un calme inouï dans un quartier en réhabilitation et une lumière naturelle incroyable pour ce loft équidistant du splendide Parc Barbieux d’un côté et du musée à la renommée sans précédent, “La Piscine”, de l’autre.
“180m2, c’est presque absurde !” se disent Gilles et Laurent, et il leur vient l’envie de montrer non seulement des œuvres d’art au milieu de l’espace de vie, recontextualisant les fameux “Salons d’Art” du XIXème siècle, mais aussi de partager cet espace embelli avec des hôtes de passage pour d’heureux moments d’échanges. Authenticité et rencontres, La Teinturerie offre une sublime “suite-chambre d’hôtes” ouverte sur un jardin japonais, lui-même précédé d’une terrasse cosy. Le lieu de vie est co-partagé autour d’une tablée aussi chaleureuse et élégante que les hôtes aux commandes de ce lieu précieux.
De thés subtils, potions magiques produites près de la forêt voisine, en miel récolté par le petit neveu jurassien, en passant par les délices concoctés “maison” (mention aux talents de pâtissier de Laurent et culinaires des deux !), tout n’est que raffinement, délicatesse et goût exquis. Michel Degand, peintre renommé du cru à la cote internationale, avait insisté auprès de Gilles pour qu’il l’expose, arguant que, “chez lui, il n’avait rien trouvé qui ait pu heurter [son] œil”.
Si les artistes se succèdent, de techniques, accointances, genres et gens bien distincts, Gilles s’attache toujours à installer leurs œuvres avec soin en son antre, estimant que la mise en scène participe beaucoup de la façon dont on peut les regarder. “La façon dont je les installe leur donne à porter un regard différent sur leur travail, voire les surprendre”.
Autres regards, autres contextes, Gilles se soucie d’embellir le “chez-soi”, même chez les autres. L’espace intérieur permet en effet de transcender l’œuvre d’art : “Je vois ce qui est dissonant, ou pas”. Aussi n’hésite-t-il pas à bousculer les meubles pour mieux réorganiser l’espace lors d’essayages d’œuvres d’art in situ. Lui qui n’aime pas les relations ou activités “passe-temps” se targue d’être dans “l’espace-temps”. Il s’agit d’une vraie réflexion sur le retour à soi, le retour vers soi. Une démarche aussi introspective que quasi-thérapeutique.
Aujourd’hui La Teinturerie s’enorgueillit de porter un projet ambitieux, toujours en gestation au vu de la complexité de la législation et de la lourdeur paralysante des pouvoirs publics quant à l’attribution de subventions et levées de fond. Demain le Salon d’Art se verra doté d’une cousine de proximité : la Chaufferie. Une extension par l’adjudication d’un château d’eau offrira alors un espace d’exposition supplémentaire de 120m2, un toit-terrasse porteur d’un jardin des sculptures et deux chambres d’hôtes. Gilles se veut militant de “l’Art pour tous”, un art abordable offrant un panel d’œuvres de 100 à 10 000 euros : co-working, espace loué aux entreprises, workshops, mais aussi évènementiel comme des concerts, conférences, autant de projets connexes pour redorer le blason de cette ville à la splendeur pour un temps déchue, Roubaix. Les mots “Tourisme”, “Habitat” et “Environnement” tutoient le maître-mot du mantra de Gilles : “l’Art”.
Il tient à faire de son sweet-home un lieu sacré où une humanité se rassemble autour d’un projet en toute bienveillance, tolérance et empathie. En ce joli mois de mai, Gilles accueille le jeune américain Dylan Cremins, que lui a présenté l’un de ses amis et artistes, Larry McLaughlin. Dylan évoque son parcours d’artiste autant que d’aventurier d’un américain en Europe. Une série de tableaux où chaque toile raconte une histoire, jalon de son itinérance du Royaume-Uni aux Pays-Bas, en passant par la France, le Portugal, l’Italie, les Etats Baltes, sans oublier l’Allemagne où il a étudié et résidé. D’amusantes céramiques viennent ajouter une touche d’humour et de fantaisie dans un esprit de BD futuriste. Mais Chut ! car voilà l’occasion de parler de Dylan dans un article à venir… To be continued !…
La Teinturerie – Roubaix (59) – https://www.aralya.fr/spots/la-teinturerie/
Serait-ce l’attrait du vin de Sancerre, la douceur du Val de Loire ? C’est bien en France que l’américain Larry McLaughlin a choisi de vivre et travailler durant six mois de l’année, avant de retrouver son atelier dans le désert de Phoenix, Arizona. Il s’est fait adopter par un voisinage parfois réticent et dubitatif en voyant des lapins géants de ciment et béton orner les champs derrière sa propriété. De véritables “Monstres !!!” comme les a qualifiés son voisin cultivateur.
Né à Litchfield, Minnesota en 1956, Larry McLaughlin a commencé la sculpture tout en étudiant à l’Université de Californie à Santa Cruz dans les années 1970. C’est à Londres qu’il s’est initié ensuite à la peinture et à la gravure, rejoignant Paris en 1988, où il a terminé ses études à l’école Nationale Supérieure des Beaux-Arts.
Voilà plus de 25 ans, lors d’une année que les Chinois dans leur calendrier vouaient au lapin, Larry se découvrit un plaisir immense pour la création animalière revisitée sous toutes ses formes, dans tous les sens du terme, produisant des œuvres aussi humoristiques qu’originales, avec des matériaux ou sur des supports divers : ciment et béton, révélation et vocation pour le travail des pierres reconstituées grâce à son maître de sculpture aux Beaux-Arts de Paris, mais aussi fer, papier, encre, peinture, céramique, feuille d’or, verre…
Larry est un personnage haut en couleurs d’une bonhomie chaleureuse et directe, en toute simplicité. Il parcourt le monde, exposant au Canada, aux Etats-Unis, à Singapour, en France, en Norvège, en Suisse… Aujourd’hui encore il s’étonne de la réception de ses œuvres par le public selon le point du globe où il se trouve. Chacun a sa propre perception et interprétation, intrinsèquement liées à sa culture, son pays d’origine, son histoire.
En dehors de ces considérations sociologiques et culturelles, c’est l’humain qui fascine et interroge Larry. Certes ses créations sont des animaux mais il les humanise et sexualise, et cet anthropomorphisme va plus loin. C’est une interrogation sur la place de l’homme et de la femme dans notre société, tels ces lapins roses sur toile qui rivalisent sur fond de feuille d’or de force musculaire et de tonicité, homme versus femme !
Larry se dépeint lui-même avec humour, dixit sa sculpture-autoportrait où il se représente tout en exubérance de chair et de débordements, se moquant de son physique généreux.
Si les animaux envahissent les toiles, parfois de tout petit format, et se dandinent sur les bancs et consoles, tels ces cochons rose et or en terre cuite, d’autres miniatures, dessins sur papier collés sur bois, ornent le piano, couvrent les murs, profusion d’œuvres de tout acabit offrant à chacun l’opportunité d’acquérir non pas une, mais plusieurs créations de Larry. Elles se complaisent en effet en nombre, discutant avec humour dans leur complémentarité ou leur opposition.
Ses œuvres sont aujourd’hui exposées au Salon d’Art de Gilles Bouilliez à la Teinturerie de Roubaix, comme au 19ème siècle, quand l’art s’invitait chez les particuliers dans le cocon des salons privés. Au-delà du cadre enchanteur, Gilles est un magicien de la mise en scène et de l’éclairage. Ainsi, dans l’un des petits salons, les lumières tamisées adoucissent les courbes des sculptures de ciment surdimensionnées. Dans un équilibre qui semble dangereusement précaire, des personnages, triangles de béton inversés, voient le volume du haut se poser sur une base rétrécie et, par un éclairage subtil et inventif, Gilles est parvenu à projeter sur le mur des ombres qui accentuent leurs formes et caractéristiques : banane et menton galoché aux hanches étroites au côté de courbes féminines, généreuses et voluptueuses de Vénus préhistorique.
Le Salon d’Art est un lieu aussi raffiné qu’élégant, combinaison originale de Loft privé, chambre d’hôtes et lieu d’exposition sur 120m2, situé à proximité du magnifique Parc Barbieux de Roubaix, où se côtoient pas moins de 60 essences d’arbres. Voilà 8 ans, Gilles Bouilliez s’installa dans cette friche industrielle et ses projets n’ont pas fini d’étonner, une extension des plus remarquables étant à l’étude. La reconversion de ces friches en lieux culturels n’en est pas à son premier essai : ainsi l’usine Motte-Bossut, qui abrite les Archives du monde du travail et l’Eurotéléport, l’ancienne piscine, reconvertie en musée d’Art et d’Industrie, ou l’usine Roussel, qui héberge les studios de répétition des ballets du Nord, et tant d’autres encore qui font de Roubaix une Ville d’art et d’histoire au tourisme florissant.
Une excellente occasion de se rendre au Salon d’Art, le temps d’une visite ou d’un séjour avec nuitée(s). Une plongée délicieuse au cœur d’un endroit unique ; Michel Degand, partenaire lui aussi de la galerie, affirmait d’ailleurs à Gilles Boulliez que dans ce haut-lieu du bon goût et de l’esthétisme, rien ne venait heurter son regard partout où ses yeux pouvaient se poser… Bel hommage d’un artiste loossois de renom qui nous quitta l’année dernière.
Jusqu’au 26 février 2022 – La Teinturerie – Roubaix (59)